LES JOURS D’APRÈS

La nouvelle est venue d’Amérique, et, à la vitesse d’une brutale rupture de digues, en autant de langues que de pays, dans une temporalité souvent à retardement des faits, un déferlement de « témoignages », d’aveux, d’indignations s’est propagé, emporté par une émotion qu’il ne serait pas suffisant de qualifier de collective : une « émotion épidémique ».

Comment sort-on de l’expérience à grande échelle et individuelle de « cette nouvelle mutation rampante de la res publica en une société de l’arène », où « l’intérêt public » peut être « aspiré par l’intérêt de l’arène » ? [1].

Comment compter sur la culture pour en sortir quand ce sont tout particulièrement les milieux de la culture qui sont concernés ? 

Comment comprendre l’échec massif de la Suède, [2], pays au premier rang d’un classement sur l’égalité des sexes en Europe, de « l’approche de genre », dont l’école suédoise Égalia inspira le projet d’application de « l’approche de genre » à la petite enfance (Égalicrèche) [3] en France ?

Comme un boomerang, la rupture de digue qui s’est produite a rappelé que le sexe est sexuel. On a voulu désexualiser le sexe de la « différence des sexes », dissocier le sexe dit « biologique », du sexe dit « social ». Commença alors l’influence dominante du « gender », venu d’Amérique lui aussi, à laquelle l’Europe s’est laissée gagner [4]. L’expansion de la notion de « genre » est devenue hégémonique, tout est devenu « genré », quant au sexe, il accompagne  les « stéréotypes », « sexués,  sexistes, de sexe », à « déconstruire » : « (…) “genre”, c’est quand même plus propre que « sexe », n’est-ce- pas ? » [5].

On peut refuser de reconnaître que quelque chose ne va pas, de chercher pourquoi, comme Serge Tisseron qui a déclaré : « … Les pays nordiques ont mis en place depuis longtemps des mesures dans les écoles contre les stéréotypes de genre. Il faut développer ces activités en France, les intégrer à la formation initiale des profs et pas seulement leur donner deux heures de formation une fois dans leur vie… » ; comme Laurence Rossignol revendiquant la priorité sur « Emmanuel Macron qui « tire sur la pelote » laissée par la précédente mandature, notamment lorsqu’il évoque la formation des professionnels, et plus particulièrement celle du personnel des crèches. » [6] Hélas, il n’a pas été possible de faire entendre les critiques de cette orientation sous la précédente mandature, et les erreurs se sont transmises.

Comment sort-on d’un « état d’exception » comme un scandale de  cette ampleur, un état où « la société gomme ses nuances », où « la fonction d’arène est transmise aux masse-médias… » ?  [7]

Dans La crise de la culture, H. Arendt dit d’ « une crise qu’elle nous force à revenir aux questions elles-mêmes (…) », qu’ « elle ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire des préjugés », qu’il importe de « ne pas passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle fournit ». [8]

La tâche, les jours d’après, c’est de chercher à comprendre pourquoi ce qui se passe en Suède devrait devenir un modèle [9] pour un pays comme la France, de réinterroger la notion de « genre » dans son rapport à l’égalité et à l’altérité.

NOTES
[1] Peter Sloterdijk, Ni le soleil ni la mort, éditions Pauvert, 2003, p. 87-96 ; La médiologie de l’arène, p. 137-145.
[2] – « 456 actrices (désormais 703) signent une tribune où elles dénoncent collectivement le harcèlement et les violences dont elles sont victimes et la « culture du silence » qui règne sur les plateaux de cinéma et les planches des théâtres ; 653 chanteuses d’opéra accusent à leur tour ; puis, 4 445 juristes, puis, 1 993 chanteuses et musiciennes, 1 300 femmes politiques, 1139 salariées de l’industrie des technologies, 4 084 journalistes, 4000 sportives, 8000 écolières, collégiennes et lycéennes…, puis, 1382 employées de l’Eglise luthérienne, majoritaire en Suède, et jusqu’à l’Académie suédoise qui décerne le prix Nobel de littérature, des académiciennes, épouses d’académiciens, leurs filles et d’autres femmes ; puis des révélations scabreuses avec la publication du témoignage de 18 femmes affirmant avoir été agressées ou violées par un homme parmi les plus influents de la scène culturelle stockholmoise (…) »
– Huffington Post, 24 novembre 2017, Agressions sexuelles: l’Académie Nobel de littérature dans le viseur après les témoignages de plusieurs femmes.
[3] La mise en ligne du travail, annoncé en 2016, sur La notion de « genre » appliquée au champ de la culture » se fera à la rentrée de janvier 2018, dans un contexte que je n’ai pas choisi.
[4] Pour s’en faire une idée exacte, cf. Rapport d’Information sur les études de genre, N°4105, Assemblée Nationale, 11 octobre 2016, Mme Maud OLIVIER, Rapport en ligne.
[5] Nathalie Heinich, « Genre », in revue Le Débat, Gallimard, n°160, 2010, p. 285.
[6] Discours du 25 novembre du Président de la République, http://www.elysee.fr/ et Que vaut le plan de Macron contre les violences sexuelles? Rubrique : Combat culturel et éducation, 26 novembre 2017, http://www.lejdd.fr
[7] Peter Sloterdijk, op. cit., p. 141, 144.
[8] Hannah Arendt, La crise de la culture, folio essais, éditions 1972, p. 224-225.
[9] Cf.- Le 24 novembre dernier, « En Suède, l’université en mal d’auteures » sur la situation d’un professeur de l’Université de Lund, mis en cause pour ne pas remplir le quota de 40% d’auteurs de sexe féminin pour constituer des cours. Le thème de son cours ne lui permettait que 15% de textes signés par des femmes. Théorie du genre / intégration des genres, mettant en garde contre des quotas, le conflit se solda par la décision du professeur de ne plus donner le cours.
– Le 19 novembre 2017, Suède: Göteborg accueillera cet été le premier festival… interdit aux hommes. Le festival Statement qui se tiendra les 31 août et 1er septembre 2018 sera réservé aux femmes, aux personnes trans et non-binaires, afin de protéger ses spectatrices des agressions sexuelles…

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